Exégèse de la première lecture du dimanche 9 mars
Genèse 2, 7-9 ; 3, 1-7a (la création de l’homme, le péché)
Extrait du Feu Nouveau 57/2
Chaque année, les premières lectures des dimanches de Carême construisent un parcours de l’histoire sainte, dans l’Ancien Testament. Les textes retenus s’accordent tantôt avec la 2e lecture, tantôt avec la page d’évangile. En cette année A, le Carême s’ouvre par le récit de la création et de la « chute » originelle, mot malheureux.
L’humain
Démarquant les mythes du Proche Orient, ce texte révèle d’abord la vocation de l’homme. « L’humain » (en hébreu : adam) vient du sol, de « l’humus » (en hébreu : adâmah). Il appartient à l’univers matériel. Mais le souffle divin l’anime et fait de lui une personne vivante, partenaire du Créateur, institué comme gérant de la création. « L’homme devint un être vivant (littéralement : une âme vivante) ». À cause de la théologie chrétienne du Christ nouvel Adam, chez Paul (cf. 1 Co 15, 45) et pour la contrer, demble-t-il, la tradition juive ancienne a rendu ainsi ce verset de la Genèse, traduction d’ailleurs acceptable : « l’homme devint un être vivant doué de parole. »
Chute ou épreuve ?
Alors, pourquoi le tragique de notre condition humaine ? Les religions orientales l’expliquaient par les humeurs de dieux imprévisibles. La Bible, elle, a plusieurs hypothèses, dont celles d’anges déchus, les « fils de Dieu », les « Géants » (Genèse 6, 1-4). Le début du livre de la Genèse évoque plutôt une mise à l’épreuve : pour se situer en vérité, l’homme doit laisser à Dieu la détermination du bien et du mal. Tel est l’idéal. Mais, pour devenir lui-même, dans la découverte de la liberté, l’humain ne peut que passer par la transgression (plutôt que « chute ») et découvrir le tragique de cette liberté.
Le Serpent
Dans l’Orient ancien, le Serpent symbolise souvent les forces souterraines hostiles aux humains, et la tradition juive et chrétienne verra en lui le Mauvais (cf. Apocalypse 12, 9). À son instigation, l’homme prétend décider du bien et du mal, à la place du Créateur, et, à la fois, il s’agit d’une épreuve inévitable. Alors, livré à lui-même, à sa liberté, l’humain se découvre « nu ». C’est moins, contre nombre de commentaires, l’apparition de la honte sexuelle que la découverte d’un dénuement socio-culturel, dans un monde méditérranéen où c’étaient l’esclave et le captif qui étaient nus. Ces pratiques humiliantes n’ont pas disparu. Il suffit de voyager un peu à travers le monde pour s’en rendre compte.
La vêture, première rédemption
Premier geste de rédemption, de retour à la dignité, Dieu revêt Adam et Ève de tuniques de peau (Genèse 3, 21), un verset qui n’apparaît pas dans notre découpage liturgique. La tradition juive ancienne, à partir d’un jeu de mots en hébreu, surenchérit : « Il leur fit des vêtements de gloire. »
Le récit du drame originel n’est pas un triste accident passé, mais le miroir de la condition humaine que le Christ, nouvel Adam, restaure par sa Pâque (2e lecture). Les traditions juive et chrétienne verront dans cet épisode biblique déterminant, pour les besoins d’une théologie « orthodoxe », de bon ton, une catastrophe, comme le montre la relecture de Paul (2e lecture).
Claude Tassin